Mémoire d'Havernas
Histoire du village d'Havernas (Somme)
par Gilbert Delbrayelle
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Les cahiers de doléances

Cahier des doléances des habitans d ' Havernas. [Archives départementales de la Somme 1 B 299]

(L'orthographe originale a été conservée)

 

Dans cette circonstance où la justice du souverain lui fait regarder d' un même oeuil tous les François, et que, par un effet de sa sollicitude paternelle, il veut entendre leurs plaintes, doléances et représentations, nous, habitans d'Havernas, chargeons d'abord les députtés aux États Généraux de présenter à Sa Majesté les homages du peuple, et de le remercier de ses bontés.

Nous croyons qu'il doit égallement être fait des remerciemens au sage et infatigable ministre coopérateur et exécuteur des vues bienfaisantes du Roy , de ce qu'il consacre ses veilles au bien de la Nation, l'assurer de sa reconnoissance éternelle.

Ces devoirs remplis, nous pensons et avons arretté ce qui suit :

 

les députtés demanderont que les suffrages soient recueillis par tête et non par ordre.

Notre projet n'est pas de confondre les rangs et condition ; Nous témoignerons toujours nos égards pour deux ordres aussi utiles et recommendables, tels que ceux d e l'Église et la noblesse, mais nous pensons que comme tout individu forme la Nation, les voix doivent se compter comme étant tous égallement et particulièrement intérressés au bien être commun et à la gloire de la monarchie.

Ils ne pourront régler les impôts , qu'autant que les objets de réforme auront étés arrettés, et pour l'interval d ' une tenue des États Généraux à l'autre.

Ils demanderont le retour, périodique desdits États les cinq ans, et que les loix ne puissent être  établis qu'avec la Nation assemblée.

Ils constateront le défic it des finances, le reconnoitront pour dette nationale, détermineront les objets et charges annuelles de l ' État , et pourvoiront aux moyens de  les acquitter.

Nous ne pouvons que nous en rapporter sur ses objets à la conscience et au travail des députtés, persuadés qu'ayant en même temps sous les yeux et l'honneur de la couronne et de la détresse du peuple, ils n'agiront qu'avec la pl us grande sagesse et circonspection.

La multiplicité des impôts nuit à leur propre produit ; le nombre des préposés nécessaires à leur perception les consomme ; nous pensons qu'ils doivent être simplifiés comme contraire a l'intérrêt général, et donnant lieu à des vexations sans nombre.

En conséquence :

Les depputtés demanderont la supression des tailles, corvées publiques, accessoire, vingtièmes, capitation, aides, gabelles, droits réunies, casuels réservés, et autres ; ils proposeront et demanderont deux impôts principaux, l'un territoriale, et l'autre industrielle. L'impôt territorial peut être perçu de deux manieres : en nature ou en argent.

En nature, il auroit cet avantage que chaque particulier payeroit à raison de ses récoltes, mais nous considérons qu'il est presque impraticable. D'abord comment faire payer l e s pâtures, les bois, les parcs , les maisons, les étangs, les moulins, les chateaux, etc., etc? Il y a d es récoltes qui seroient gennées, telles que celles qui se font à fur et à mesure, comme les légumes, les racines, les pépinières, les fruits, les fourages en verds, etc., etc. Nous considérons d'ailleurs, que les cultivateurs se trouveroient rebuttés d'un prélèvement qui leur paroitroit exhorbitant. En effet , sur une terre chargée d e champart, on percevroit d'abord la dixme, après le champart, ensuitte l'impôt, après le nombre de gerbes revenantes aux moissonneurs. Ces prélèvements effrayeroient l'agriculteur. Que de procès la perception des dixmes et champart ne font-ils pas naître? Un cultivateur n'auroit à faire qu' à des percepteurs qui le genneroient successivement. Nou s ajouttons , que souvent le ménager attend après sa récolte pour se nourrir, et qu'il paye ordinairement sa cotisation par ses épargnes, ses journées, ou le prix des bestiaux qu'il réserve pour cet objet.

L'inconvénient qui nous paroit aussi décisif c'est celui-cy : L'impôt seroit affermé : l'adjudicataire doit compter sur un gain, sa collecte le nécessitera à des dépenses telles que domestiques, chevaux, voitures, granges, etc. Or, nous calculons que ses dépenses et son gain peuvent monter à un tier de produit : ce seroit donc un tier de l'impôt perdu pour l'État.

Nous regardons enfin que l'impôt en nature ne formeroit pas un produit certain, puisqu'étant dans le cas d'être ajugé, il varieroit , et que dans la position actuelle de l'État, les opérations, autant qu'il est possible, doivent porter sur des bazes fixes.

Nous pensons donc que l 'i mpôt en argent est préférable, et il nous  le paroit d 'autant plus que dan s un cas imprévu, telle que Ia guerre, s 'i l s'agissoit d'augmenter l'impôt, il existeroit une baze certaine pour son augmentation et son importance. Nous ajouttons à cela la promptitude du secours qui ne se rencontreroit pas dans la perception en nature, puisqu'il faudroit attendre une nouvelle récolte et qu'il faudroit une nouvelle adjudication du suplement d'impôt, ce qui ne seroit pas praticable.

Pour que l ' impôt pécuniaire soit exact, et répartit également ainsi que sur les propriétaires de tous états et conditions, nous pensons qu'il doit être fait un plan de  chaq ue terroir sur une me échelle et proportion pour tout le royaume, que les terres doivent être classés sur ce même plan, et que la surveillance de cette opération doit être donné aux État Provinciaux, lesquels auront égard pour la répartition, à la diférence des terroirs, l es uns à l'égard d es autres. Les députtés insisteront sur ce que d e ss us .

A l'égard de l'impôt industriel, Ies députtés aviseront sur le mode le plus expédient, et ils demanderont qu'il soit particullièrement imposé une taxe sur le luxe ostencibl e, notamment sur les domestique, chevaux, voitures non nécessaires au commerce et à l'agriculture, laquelle taxe augmentera à raison du nombre.

Les députtés demanderont la circulation libre de toutes espèces de marchandises et denrées dans le royaume, sauf à faire payer des droits Ji son entrée dont ils aviseront la nature et quotité.

Ils demanderont l'abrogation des déclarations des biens échus en ligne collateralles la supression du droit de centième denier, comme contraire aux propriétées.

Ils demanderont la supression du droit de franc-fief.

Ils demanderont qu'il ne puisse être à l'avenir accordé lettres de surceance, de répy et autres semblables, la supression des lieux privilégiées pour les débiteurs.

Ils demanderont la supression des banalitée , péage , pontage, travers, corvées seigneurialles , non affectées sur des immeubles, et d e tous autres charges de pareille nature, comme contraire à la liberté publique, la plupart des coutumes supposant à ce que les seigneurs se jouent de leurs fief s et domaines, notamment avec deniers et entrée etc. etc.

Les députtés demanderont qu'il soit permis aux seigneurs d'accenser leurs domaines avec deniers d'entrée, consentir au rachat et diminution des Champarts, cens et devoir, en se retenant une modique censive, le tout sans le danger de leur suzerain , et sans que les actes pussent être considérés comme aliénation ou démembrement d e fief.

Les peuples étant obligés de soumettre la descision de leurs contestations devant des juges territoriaux, et leur confiance devant être egalle à l'importance des fonctions des magistrats, les députtés demanderont qu' à l'avenir, les charges de judicatures ne soient point vénalles, et que les juges, après avoir suivy le palais pendant un certain temps, soient élu  et présentés à Sa Majesté , pour éviter la multiplicité des tribunaux et des officiers.

Les depputtés demanderont la supression de toutte juridiction, d'attribution ; que dans chaque capitale il soit étably une cour supérieure, et qu'aux bailliages soient réunis les fonctions des juridictions qui seront suprimées. Ils solliciteront règlement pour que les officiers des bailliages en certain nombrent jugent sans appel , jusqu'à une somme déterminée.

Comme dans les juridictions consulaires les descisions se trouvent sonvent interrompus par des cas particuliers, où les officiers sont obligés de renvoyer devant juges ordinaires, tels que les inscriptions de faux, le règlement de qualitée d'héritiers, et autres cas semblables, que d'un autre cotté il n'y a pas de juridiction consulaire da ns nombre de villes où elles ne pourroient être étably par peu de négociants, ce qui devient onéreux pour le public, demanderont les députtés que, dans chaque bailliage, il soit étably une chambre consulaire composée de deux magistrats, du juge et de quatre négociants élus consuls en l a manière ordinaire, pourquoy tout incident y sera jugé  e quelque nature qu'il soit; et sera à la ditte chambre attribuée la connoissance desdittes faillites l'expérience justifiant que nombre d'actes s'en perdent et s'égarent par la négligence des officiers , leur supression et mille causes divers. Le puplicq est absolument intéressé à leur conservation, on peu t même ajoutter que la difficultée de l es trouver lorsqu'ils sont anciens occasionnent des recherches et des dépenses considérables et souvent inutilles. O n obvieroit a ces inconvénients en établissant un dépôt public. 

En conséquence :

Les depputtés demanderont que les notairs et officiers des seigneurs instrumentants par parité de fonction avec lesdits notairs, seront tenus de déposer ès mains des contrôleurs, une expédition de leurs actes, en même temps qu'ils les feront -controller ; laquelle expédition sera envoyé par les controlleur dans un dépô t public , qui sera à cet effet érigé dans chaque capitale de province sous la direction des États Provinciaux, dans lequel seront également déposés les doubles des registres des baptêmes , mariages, sépultures et ingression de voeux.

Ils demanderont la réforme du code civil et de celui criminel, que la longueur et le coût des procédures soient abréviés et diminués, que les décrets et les formalités  des retraits lignagers ordonnés par les coutumes soient abrogés, et qu'il y ait un tarif clair et précis, où les droits des officiers et ceux des greffiers soient nettement expliqués.

Les depputtés demanderont la prohibition de la pluralité des bénéfices et que les bénéficiers soient tenus de résider au lieu de leurs bénéfices. Ils demanderont l'extinction des bénéfices dont les titres ne seront pa  rapportés, et que le produit soit employé suivant qu'il sera avisé aux États Généraux.

Ils demanderont l'extinction des curés primitifs, et que les dixmes appartiennent aux curés desservants sinon que l e s portions congrues soient au moins augmentés pour les curés

jusqu'à quinze cent livres de cent feux et au dessous, et de cent cinquant livres par augmentation de chaque cent feux, le tout jusqu'à deux mille livres ; que les portions congrues des vicaires soient fixés à mille livres.

La différence de la perception des dixmes et l'incertitude des vrayes principes à leur égard donnant lieu à des procès journaliers ; demanderont lesdits déput és qu'il soit fait un règlement général partout l e royaume, où ce droit soit invariablement fixé.

Demanderont la réduction des ordres religieux comme trop multipliés, la supression des maisons où l e nombre des religieux ne sera pas suffisant pour le service divin. Quand à l'employ de leurs biens, et la distribution des charges et fondations, il ysera avisé par les États Généraux.

En ce qui conserne les maisons des religieuses, étant malheureusement connu que nombre de filles ont été s les victimes de la dureté d e leurs parens qui ont voulu favoriser leurs autres enfans, que d'autres regrettent des voeux indiscrets prononcés ans en prévoir l'étendu, que d'autres gémissent dans leurs couvents qu ' ils regardent comme une prison perpétuelle , que plusieurs abandonn é s à un désespoir intérieur, qu ' elles dissimulent, cet état des filles étant bien différent de celui des hommes qui sortent et peuvent d'ailleurs se distraire, les députtés demanderont q u' à l'avenir les religieuses ne fassent que des voeux simples, et néanmoins qu ' elles ne puissent disposer en manière aucune, des biens tant mobiliers qu'immobiliers qui leu r échoiroient tant qu'elles seront en religion, pourquoy employ sera fait du mobilier sur l'avis de leurs parents assemblés à cet effet devant l e juge, les dittes religieuses obligés de s'occupper de l'éducation  des jeunes personnes du sexe.

Demanderont que doresenavant les dispenses pour les mariages soient accordés par les évêques diocézàins.

Ils demanderont égallement la supression des provisions en conr de B o rn e pour les résignations des bénéfices et autres semblables.

Ils demanderont que les baux des revenus des bénéfices et des biens de gens de main morte soient faits par adjudication devant le plus prochain juge royal, a u moins pour douze années, sans qu'ils puissent être annullés par les déceds ou démission des bénéficiers.

Demanderont, que touttes les rivierres soient rendus navigables ou flotables, autant qu'elles en seroient susceptibles, tant pour procurer la circulation génér le des denrées, que pour prévenir les inondations.

Demanderont que les pâtures et places vagues soient plantées, tant pour procurer de l'abry aux bestiaux, que pour l'entretien et l'augmentation du boi s qui commence à devenir rare et d'un prix exhorbitant dans l e royaume.

Demanderont qu'il soit pourvu au dessèchement des marais, et à ce que les trous à tourbe soient comblés ; pourquoy il sera permis de seigner les rivierres, nottament lors de la crue des eaux, et ce, d ' après l'avis et la direction des municipalités.

Demanderont la cassation des arrêts consernant les formalitées à exercer pour constater les dégâts occasionnés par les lapins, e t qu'il soit pourvu à ce que le gibier nuise à l'agriculture.

Demanderont qu'il soit pourvu à l'éducation des bettes à leines, et à l'augmentation de l'agriculture, nottament pour les lins et le chanvre.

Ils représenteront le tort que fait la milice, et demanderont que chaque province fournisse son contingent de troupes : pourquoy le tirage de la milice sera supprimé, et les frais supportés par tous les habitans des villes et de la campagne, sans distinction d'ordres privilégié, à l'effet de quoy il sera fait une taxe dont le produit sera versé en une caisse régie par les États Provinciaux.

Ils demanderont égallement que, pour les corvées, il soit pareillement étably une taxe supportée et régie comme dessus.

Enfin, nous chargeons les députtés de concerter, aviser, proposer et décider ce qui sera le plus avantageux pour le bien public, l'accroissement de l'agriculture, le soulagement des gens de campagne, et pour la gloire et la prospérité du royaume.

 

Le présent cahier de doléances des habittans, corps et communauté du village et paroisse d'Havernas en Picardie, bailliage d'Amiens, aretté et dressé en double, l'un pour demeurer au secrétariat de la municipalité dudit lieu, l'autre pour être remis aux sieurs Jean-Baptiste Tavernier et François Callais , tous deux laboureurs demeurants au dit Havernas, députtés nommés à l'effet de le porter à l'assemblée du tiers-état dudit bailliage d'Amiens.

 

Cotté et paraphé par première et dernière page, par nous, Charles Tavernier, lieutenant de la justice dudit Havernas au désir d e l'acte, délibération et assemblée généralle des habittans dudit lieu. En foy de quoi nous avons signés avec notre greffier et ceux desdits habittans qui savent signer.

Fait au ditlieu d'Havernas, le dix mars mil sept cent quatre-vingtneuf.

Signé: 
Pierre-Joseph Varlet, Petit, Roy, Catez, Callais, Fourny, Salle , Jean-Baptiste Tavernier, Houbron, Grouay, Larosier, Leclerc, Larosière, Petit, Froment, Herondart , Delhomel, Tavernier lieutenant, Delucheux greffier, Dourlens, Demetz, Bellenger.


Procès-verbal élection :

COMPARANTS :

Pierre Patous, Jean-Baptiste Tavernier, Pierre-Joseph Varlet, George deLhomel, Jacque Fourny, François et Joseph Calais, Charles Hénin, Jean-Louis Quignon, Henry Blery, Jean-Baptiste Dourlens, Jean Hérondart, Joseph Grouay , Jean Leroy, Joseph Hérondart, Pierre Leroy, Louis-Henry Blery, Jean-Baptiste Grouay, Furcy Sangnier, JeanBaptiste Lenglet, Nicolas Delucheux, Charle D emetz, Pierre Tavernier, Louis Fourny, Louis d uFrancatel, Pierre Contart, Henry Delarosierre, Joseph Froment, François Petit, Antoine Salle, Pierre Moutardier, Denis Blery, François Leclerc , Pierre Varlet, Pierre-François Quignon, François Leroy , Denis Fourny, Jacque Cavillon, François Petit, Jean-François Hardy , Jean-François d'Havernas, Jean Leroy, Jean-Baptiste Bellenger, François Grouay.
(NB : Il s'agit de tous les hommes âgés de 25 ans domiciliés et compris dans le rôle de contribution)